Pour les 40 ans d'une amie le 5 Mars 1959

Nous avions quarante ans et c’était le bel âge

Bien sûr tout n’allait pas toujours dans le ménage,

Mais il en est ainsi pour tous les gens heureux

Ils ne le savent pas et peut-être est-ce mieux.

Ils ne savent pas qu’ils ont les meilleurs des amis,

Meilleurs, je suis modeste, je pourrais dire pis.

Existe-t-il au monde des mots pour qualifier

Ce que nous sommes bons nous dans nos amitiés ?

Il en faut de l’amour et surtout de la patience

Pour écouter stoïque à longueur de soirées,

Les propos, hélas, qui frisent la démence

Que vous sort une Paulette plus ou moins éméchée.

Nous sommes de ceux-là, nous les incompris

Nous sommes de ceux-là et pourtant qui l’eût dit,

Qui eût dit qu’à mon âge avec mes cheveux blancs,

J’eusse accepté stoïque tous ces débordements.

Il faut la voir parfois lorsque les soirs d’orage,

Passent sur son front sombre de lourds et épais nuages,

Ses yeux sur vous fixés ressemblent à des éclairs,

Et font trembler vos membres comme des enfants sans mère.

C’est dans ces moments-là qu’elle ne se connaît plus,

Que sur vous elle fonce comme sur un vieux rebut,

Et si vous ne prenez garde, et ne vous éloignez,

Quelques secondes plus tard vous n’avez plus de nez.

Oui c’est cela Paulette et ce qui est plus triste,

C’est qu’à cela hélas tout un chacun assiste.

Plaignons donc ses amis à jamais malheureux

Car il faut bien le dire, on l’aime notre Paulette.

Car qui ne l’aimerait, elle, si gentillette.

Quand elle n’est pas en crise une ou deux fois par an,

Elle consent à sourire oh ! ce n’est pas souvent,

Mais ce n’est pas encore des plus encourageants

Car elle ne sait le faire qu’en nous montrant ses dents.

Puisse la quarantaine madame vous assagir,

Je le dis sans espoir, il faut en convenir.

Mais enfin, je le dis en souhaitant tout bas,

Qu'au fond, je préfère que vous ne le ferez pas .

Car il faut l’avouer, la vie serait impossible

Si tout le monde comme moi était calme et paisible.

Il en faut des « Paulette », il en faut, mais pas trop

Une cela suffit, restez-nous donc longtemps,

Mais surtout, ô surtout, ne faites plus d’enfants !

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002