Le retour à Auxerre



Dire que ces messieurs étaient contents, c'est autre chose. On leur piquait leur élève Caporal d'élite : on m'accusa d’être un politicard, un rouge…J'en passe et des meilleures.

Mais, en aparté, quelques gradés me demandèrent le mode d'emploi. Comme je l'ignorais -et même dans le cas contraire je n'eus rien dit- je disais simplement : "Mais pourquoi me renvoyez-vous ailleurs ??" Ce qui eut le don de me faire coller 8 jours de prison pour une bagatelle ! Et encore !! la 1ère punition est assortie du sursis. Je ne le sus que quelques mois plus tard : elle était inscrite sur mon livret matricule et je l'ignorais. Ils avaient la trouille de mon « protecteur » et se vengeaient comme ils pouvaient !! (grandeur et servitude militaire ) !!

J'avais eu quand même un beau début de carrière : en 3 mois j'avais été un bon à rien, un génie, pour finir taulard ! Qui dit mieux ??

Bref, muni d'un tas de paperasses, je pris un beau matin le chemin de la gare -habillé en chasseur- mais sans ceinturon ! Pourquoi ??? Le règlement ?? La raison obscure : elle peut dater de Napoléon ou de Louvois ???? Allez savoir !!

Ce qui fait qu'après une petite ballade chez des amis à Paris, j'arrivai une nuit à mon nouvel hôtel. Il s'appelait Vauban et contenait un petit millier de pensionnaires.

Habitué à la discipline (qui fait la force de armées, dit-on) je fis au sergent de garde un salut impeccable, me présentai dans les règles. Il vaut mieux faire bonne impression, n'est ce pas ? Stupéfait, je m'entendis répondre : « Petit con ! On ne reconnaît plus les copains ? »

Le sous-off : c'était Potar, notre ailier droit au foot !!! Avec le casque, je ne l'avais pas reconnu !!

Je fus sidéré en entrant au corps de garde où je dus lamper à divers bidons : tout le monde se tutoyait !! Il n'y avait pas, comme d'où je venais, cette trouille du plus petit gradé !! C'était assez bon enfant. Et, en cet instant, je me félicitai de ce changement. Bien entendu, au bout de 2 jours, re-peloton élèves caporaux chambre 40. Et là : nouvelle surprise !

Un grand escogriffe, maigre comme un clou, qui me dévisageait depuis un instant, fonce dans ma direction !!! "Ça y est !! 5 à 4 à l'arbre sec!!! Petit salaud ! C'était toi ???" Et oui ! C'était bien moi : lui arrière ! Moi avant !! Eux, menant 4 à 0 à la mi-temps !! Nous, marquant 5 buts en seconde dont 3 par moi…

Dès lors, virée à la cantine, les amis de mes amis sont des amis (le foot mène à tout) : bref de vrais copains !

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002