Le retour à Vauban



Peu de temps après, nous apprîmes que nous serions libérés le 15 octobre, et alors je n'eus plus en tête qu'une idée, la classe et d'abord le retour à Auxerre ; cette fois encore, je fis une bêtise ! Je n'étais pas guéri. J'aurais dû rester à l’hôpital et attendre une éventuelle guérison, ou réforme, fût-elle temporaire ! Cela, c'était la raison, celle des vieux, mais moi je voulais vivre libre, pas enfermé dans un hôpital ou une caserne !!

Personne, je pense, ne peut envisager ni de près ni de loin, la pagaille qu'il y eut à ce moment-là ! Les ordres, les contre-ordres, les libérables qui voulaient partir, les toubibs invisibles, personne ou presque dans les bureaux. Bref, un foutoir bien français. Je rentrai dans un bureau, pris un papier, y appliquai divers tampons qui traînaient là et je me fabriquai un bon de transport tout à fait présentable ! A la gare, un employé me colla un nouveau cachet et en route pour Auxerre.

Douce France, France du système D. J'aurais pu être un espion, un membre de cette fameuse 5ème colonne, c'eût été la même chose !! Tout le monde était heureux ! La paix était sauvée !!! Ah oui !! les Sudètes !!! Bah on verrait bien et surtout on s'en foutait !

Je pris le temps de passer chez mes parents ! Pourquoi se gêner ? Et j'arrivai à la caserne où personne ne me demanda rien ! On croit rêver ! Pourtant je n'invente rien ! Je n'avais aucun bon de sortie d’hôpital, aucune permission, et le reste était faux ! Pour risquer un coup pareil il faut avoir 20 ans, car enfin, je pouvais être porté déserteur ou au moins être puni : non ! Je n'ai jamais su comment tout cela s'est fait !!

Quelques jours plus tard, habillé en civil avec cette fois des papiers en règle, je quittai la caserne, provisoirement.

Telle fut la 1ère partie de ma vie militaire.

Les gens raisonnables, dont je fis partie plus tard, diront que j'étais un idiot : je n'étais pas guéri, j'avais toujours de grosses plaques d’eczéma et je ne pouvais reprendre mon métier.

Un boulanger est toujours à moitié nu à cause de la chaleur et la poussière de farine n'est guère recommandée avec ce que j'avais ! J'aurais dû rester à l’hôpital et faire la seule chose dont je suis encore incapable : attendre, patienter !
Une réforme temporaire peut-être ou une guérison, tout à fait possibles. Mais, surtout, il ne fallait pas faire ce que je fis !

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002