Dijon



Je fis alors connaissance avec une autre sorte d'humanité. Les coloniaux du 3ème RAC de Joigny. J'entendis à longueur de journée parler de «chaude pisse» que les méridionaux appelaient «pisse chaude» de «chancres»  «mous ou pas», de syphilis et autres bienfaits des bordels africains. Ces messieurs étaient «de carrière» avec un nombre d'années de service assez impressionnant et de jours de «cabane» (lisez prison) à faire rêver Latude lui-même ( Jean Henri, dit Latude (1725-1805), un prisonnier français du xviiie siècle, célèbre par ses nombreuses évasions) !! Deux ou trois ex-déserteurs ou 5/23 : c'est à dire 5 jours et 23 heures d'absence !! 6 jours étant la désertion !!!

Je fus interrogé de suite sur la nature de ma maladie et jugé de suite «un pauvre type», un appelé qui n'est même pas vénérien ! Pas intéressant, n'est-ce-pas !!

Je fus relégué dans un coin avec un galeux et un autre psoriasis ! Bref avec les cancres ! Chaque 4 ou 5 jours nos compagnons avaient leur injection de «Novarsenobenzol». Je crois qu'il s'agit d’arsenic et ils étaient au lit 24 heures ! Je dois dire que j'ignorerai toujours si le métier militaire les avait rendus ainsi ou s'ils avaient le même esprit avant !! Mais j'ajoute que cela ne m'encouragea pas à m'engager .

On me couvrit de pommade, encore, mais pas la même ! On me fit laver au savon noir et enfin, après m'avoir talqué, on m'envoya aux rayons : une séance de 3 ou 4 minutes, des lunettes sur les yeux, 2 mn sur le ventre, 2 mn sur le dos.

Je crois que j'eus 3 ou 4 séances puis, soudain, l’hôpital, ou plutôt la dermato, se vida. Nos artilleurs, guéris ou pas, étaient rappelés par leur corps, on mobilisait ! 

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002