Mémoires de Guerre

 

Lille, Haubourdin : un rêve, un cauchemar, je ne sais plus ! Comment en était-on arrivé là ???

Ces retraites continues, ces marches épuisantes, cette  course pour échapper ; cette hantise de vivre, de survivre plutôt : tout cela accepté parce que l'on croyait au miracle !!

Mais nous ignorions qu'il eût fallu cela pour en sortir !

Tout était joué bien avant !

Les dés étaient pipés ; nous ne pouvions pas le savoir et cela se terminait là, dans une malterie : plus de munitions …et un ordre : «Déposer les armes». C'était fini, ou plutôt cela commençait.

Nous venions de vivre une époque : en trois semaines la France glorieuse avait sombré. Pourquoi ?? Ce n'est pas mon affaire ! Tout a été dit là-dessus : mais il reste nous, les vaincus.

J'ai vécu avec eux, j'ai été des leurs.

J'ai fait partie de cette jeunesse de l'année 1936 dont on a tant parlé : les 40 heures, les congés payés, victoire du peuple, émancipation des travailleurs, slogans, poings levés !

Mais aussi 2 années de service militaire : classes creuses obligent et, pour les gosses de ma génération, tout autre chose qu'une victoire ?

Ô bien sûr nous avions gagné «l'autre» et si nous l'ignorions, ce n'est pas par manque de l'avoir entendu rabâcher : la famille d'abord, l'oncle qui avait «fait la Marne».

La première ! Celle des taxis. Ma mère qui avait travaillé en usine pour faire des obus. Et puis mon père qui, lorsque j'évoquais la loi des 2 ans, rétorquait, moustache en bataille : "j'en ai fait 7».

Et là-dessus démarrait un interminable récit des heurs et malheurs d'un dragon (lui) à qui l'on avait retiré son cheval. Un seul salut : la fuite. Déjà !

Tout gosse on m'avait inculqué la peur du monstre (le boche); dans nos jeux d'écoliers, c'était lui le voleur et, bien sûr, le vaincu!

Il n'est pas jusqu'au grand-père qui avait connu 70, celle des casques à pointes, et qui, par instants, ne nous parlât des prussiens. Il y avait aussi le théâtre où le Franc-Tireur et l'Alsacien dominaient...

Je n'ai jamais bien su d'ailleurs ce qu'en pensait mon aïeul assez caustique à ses heures !

Les francs-tireurs de chez nous étaient, disait-il, des gens qui tiraient à 100 m avec des fusils qui tiraient à 40 m !!!

Comme à cette époque la discussion n'était guère permise, nous nous inclinions et il vaut mieux taire ce que nous en pensions. 

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002