Le régiment

 

 

 

Le Régiment c'est comme ailleurs

 

Il y a des instants où l'on en bave

 

Mais y’a vraiment, y’a des heures

 

Où l'on est aussi bien qu' dans une cave.

 

 

 

On trouve des types très intelligents

 

Mais il y a aussi des fripouilles

 

Y’a tellement d'bonshommes là-dedans

 

Que le système est la débrouille

 

 

 

Dans la chambre où vous habitez

 

Il se peut qu' vous soyez ma foi

 

Entre un Turc et un Albanais

 

Un voleur et un magistrat.

 

 

 

Ici tout le monde est pareil

 

Il y a des imbéciles qui commandent

 

« J'm'en fous » est un mot officiel

 

« Vous fous d'dedans » est un mot à vendre

 

 

 

Lorsqu'on vous ordonne quelque chose

 

Ne cherchez jamais à comprendre

 

Planquez-vous plutôt dans les « choses »

 

Mais surtout vous y faites pas prendre.

 

 

 

On vous interdit d'voler vos copains

 

Mais surtout qu'on n'vous prenne rien

 

Car si au bureau vous l'signalez

 

En prison tout de suite on vous met.

 

 

 

Si l'on vous dit d'vous dépêcher

 

Couchez-vous vite dans votr’ plumard

 

Car sûrement va arriver

 

Le contre-ordre sans retard

 

 

 

Lorsque l'on parle de mots en « on »

 

Il s'agit sûrement d'punitions

 

Lorsque on entend l'mot « adjudant »

 

On sous-entend : « Vous fous dedans »

 

 

 

Si un cheval vous fout un coup d'pied 

 

On vous traite de lourdaud d'balourd

 

Mais le cheval qui vous a mouché

 

Est exempt de service huit jours

 

 

 

 

 

Si l'on vous condamne par manie

 

A avoir douze balles dans l'portrait

 

Faut attendre pour protester

 

Que la punition soit subie

 

 

 

Aux cuisines sont les forgerons

 

Les charpentiers et les maçons

 

Comme peintres on emploie

 

Les facteurs et les avocats

 

 

 

Dans la piaule y’a un caporal

 

Paraît qu'faut qu'y fasse rien

 

Ça n’empêche pas c’t’original

 

De faire la piaule tous les matins

 

 

 

L'adjudant vous traite d'idiot

 

Seulement il est pas capable

 

Sans faire une faute à chaque mot

 

De porter un motif potable

 

 

 

Quand y vient un pauv’ général

 

On bouscule tout dans l'quartier

 

Mais lui qui s'en fout pas mal

 

Va juste au mess des officiers

 

 

 

Heureusement qu'on a des copains

 

Pour vous virer tous les matins

 

Vous faire le lit en bateau

 

Ou vous faire avaler des quarts d'eau

 

 

 

Heureusement qu'y a la cantine

 

Pour vous abîmer l'estomac

 

Le vin bouffe le verre des chopines

 

Pour boire ça faut êtr’ soldat.

 

 

 

Mais je crois que l'meilleur de tout

 

C'est d’essayer que l'temps passe

 

Et pis quand on arrive au bout

 

De crier « Vive la classe ».

 

 

 

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002