Le plaisir d'un monde : Vivre

 

 

 

 

 

Mais qu’est-ce donc que cette vie

 

Dont les hommes sont si fous

 

Qu’un monde entier en vain envie

 

Et demande presque à genoux

 

As-tu bien réfléchi, enfant,

 

Que ce qui est fait pour plaire

 

Ce qui te paraît si charmant

 

Au fond n’est qu’une misère

 

 

 

Dans le monde d’abord pour entrer

 

Il faut des amis qui te présenteront.

 

Suivant ce que tu peux payer

 

Tu seras bon ou mauvais garçon.

 

Il ne faudra pas songer, certes,

 

Lorsque tu feras des traits d’esprit,

 

Que tu te moques d’un ton alerte

 

Quelquefois même de tes amis.

 

 

 

Il faut sacrifier ceux-là même

 

Qu’hier encore tu aimais :

 

Ce serait un petit blasphème

 

Si demain tu t’en repentais.

 

Mais le jour suivant passera

 

Sans même que tu y penses

 

Et sans cesse tu te moqueras

 

Pour avoir comme récompense

 

 

 

Le sourire d’une belle jeune fille

 

Ou le regard plus qu’indulgent

 

D’un brave père de famille

 

Qui est content de son enfant.

 

 

 

Le monde c’est cela vois-tu :

 

On s’embrasse, on rit, on s’amuse.

 

Demain peut-être on se tue

 

Comme sur le radeau de Méduse.

 

Mais on est exalté, heureux,

 

Le vin fouette le sang :

 

On devient de suite amoureux

 

On échange vite des serments

 

 

 

On se connaît là par hasard

 

Un fox, un tango, une rumba

 

Un verre bu ensemble au bar

 

Un ménage de plus ici-bas.

 

Quelques mois s’écoulent alors

 

On s’aperçoit qu’on s’est trompé

 

Que ce qui brille n’est pas or

 

Toute la vie est empoisonnée.

 

 

 

Lui, vite la délaisse le soir

 

Et sa maîtresse va retrouver

 

Elle pleine de désespoir

 

A un amant va se confier.

 

Cela c’est l’histoire du monde

 

L’histoire de ceux qui veulent vivre

 

Ils sont nombreux à la ronde

 

Enfant ne va pas les suivre.

 

 

 

N’écoute pas ceux qui parlent

 

Reste là et regarde bien.

 

De toi l’on dira du mal

 

Mais cela vois-tu ne fait rien.

 

Tu ne trouveras jamais

 

Quelqu’un qui t’apprécie.

 

Qu’importe il faut les laisser

 

Avec leurs pratiques pourries.

 

 

 

C’est hélas, cela ce plaisir

 

Que les hommes espèrent ici-bas.

 

C’est pour cela que des martyrs

 

Travaillent jusqu’à leur trépas.

 

Les pères ne l’ont pas eu, eux

 

Les fils l’auront peut-être.

 

On veut entrer dans ce milieu

 

Sans chercher même à le connaître.

 

Et ce qui est vrai pour les grands

 

L’est hélas aussi pour les autres

 

Car notre défaut, nous vivants,

 

Est toujours d’éprouver les nôtres.

 

 

 

Reste donc ce que tu es :

 

Un homme que l’on respecte.

 

On dira que tu es un niais

 

Mais aussi que tu es honnête.

 

Tu verras les autres souffrir

 

Ils verront ce qu’ils ont perdu

 

Car avec tout l’or d’un empire

 

On n’achète pas la vertu.

 

Et cela il faut le dire hélas.

 

Ce n’est pas glorieux pour nous :

 

Le plus horrible est qu’ici-bas

 

Il n’y en a pas beaucoup.

 

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002