Un jour d'une certaine année
Peut-être était-ce un jour de fête
Arriva venant de quelque cité
Un étranger à belle tête
Dans un hôtel il s'adressa
A seule fin de pouvoir dormir
Jusqu'à demain n'est-ce pas
Dès l'aube je veux partir
Hélas il n'eut pas de succès
Toutes les chambres étaient prises
De la cave jusqu'au grenier
Et même jusqu'à la remise
Impossible d'aller ailleurs
Car là seul se trouvait
L’unique hôtel pour voyageurs
Qu’abritât jamais la cité
Néanmoins après conciliabule
Il se trouva qu'il existait
Juste à côté du vestibule
Une pièce où l'on pût coucher
C'était loin d’être parfait
Car le lit où il dut dormir
Était hélas occupé
Par un plutôt « drôle de sire »
Il n'avait rien d'un voleur
Avait assuré l’hôtelier
Seulement comme couleur
C'était un nègre des plus foncés
Après qu'il eut recommandé
Que dès l'aube on l'éveilla
Notre homme se mit à si bien ronfler
Que le nègre lui s'éveilla
Voyant tout à côté de lui
Un blanc dormir paisiblement
Il lui vint alors à l’esprit
Quelque chose de surprenant
Évitant de faire du bruit
Il se leva tout doucement
Et de sa dextre saisit
Une boîte de fer blanc
Cette boîte avait à l'intérieur
Du cirage, et du meilleur
Si bien que, d'une brosse s'aidant,
S'approchant tout près du dormeur
Cira le visage proprement
Et transforma ainsi le blanc
Par cet adroit tour de main
En un nègre des plus communs
Le lendemain dès l'aurore
La servante vint avertir :
« Et dites donc l'homme qui dort,
Votre train va bientôt partir »
Stoïque il se leva sur l'heure
Et pour voir s'il était remis
Devant la glace notre voyageur
Contempla sa figure noircie
Un instant il fut étonné
Puis croyant comprendre soudain
Il retourna se coucher
En pensant avec dédain
Cet hôtel quelle bande de guignols
Cette servante pour sûr est folle
Au lieu de me faire lever
C'est le nègre qu'elle a réveillé.