Blanc et Noir

 

 

 

Un jour d'une certaine année

 

Peut-être était-ce un jour de fête

 

Arriva venant de quelque cité

 

Un étranger à belle tête

 

 

 

Dans un hôtel il s'adressa

 

A seule fin de pouvoir dormir

 

Jusqu'à demain n'est-ce pas

 

Dès l'aube je veux partir

 

 

 

Hélas il n'eut pas de succès

 

Toutes les chambres étaient prises

 

De la cave jusqu'au grenier

 

Et même jusqu'à la remise

 

 

 

Impossible d'aller ailleurs

 

Car là seul se trouvait

 

L’unique hôtel pour voyageurs

 

Qu’abritât jamais la cité

 

 

 

Néanmoins après conciliabule

 

Il se trouva qu'il existait

 

Juste à côté du vestibule

 

Une pièce où l'on pût coucher

 

 

 

C'était loin d’être parfait

 

Car le lit où il dut dormir

 

Était hélas occupé

 

Par un plutôt « drôle de sire »

 

 

 

Il n'avait rien d'un voleur

 

Avait assuré l’hôtelier

 

Seulement comme couleur

 

C'était un nègre des plus foncés

 

 

 

Après qu'il eut recommandé

 

Que dès l'aube on l'éveilla

 

Notre homme se mit à si bien ronfler

 

Que le nègre lui s'éveilla

 

 

 

 

 

Voyant tout à côté de lui

 

Un blanc dormir paisiblement

 

Il lui vint alors à l’esprit

 

Quelque chose de surprenant

 

 

 

Évitant de faire du bruit

 

Il se leva tout doucement

 

Et de sa dextre saisit

 

Une boîte de fer blanc

 

 

 

Cette boîte avait à l'intérieur

 

Du cirage, et du meilleur

 

Si bien que, d'une brosse s'aidant,

 

S'approchant tout près du dormeur

 

 

 

Cira le visage proprement

 

Et transforma ainsi le blanc

 

Par cet adroit tour de main

 

En un nègre des plus communs

 

 

 

Le lendemain dès l'aurore

 

La servante vint avertir :

 

« Et dites donc l'homme qui dort,

 

Votre train va bientôt partir »

 

 

 

Stoïque il se leva sur l'heure

 

Et pour voir s'il était remis

 

Devant la glace notre voyageur

 

Contempla sa figure noircie

 

 

 

Un instant il fut étonné

 

Puis croyant comprendre soudain

 

Il retourna se coucher

 

En pensant avec dédain

 

 

 

Cet hôtel quelle bande de guignols

 

Cette servante pour sûr est folle

 

Au lieu de me faire lever

 

C'est le nègre qu'elle a réveillé.

 

 

 

 

 

Marcel Geffroy

20 Novembre 1915

12 Mars 2002